Jean-Sébastien TACHER
CRUSHES
7 septembre - 14 octobre 2023
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A mi-chemin entre Indiana Jones, un samouraï et le comte de Lautréamont, Jean-Sébastien Tacher s’est forgé un monde à sa mesure, empli de bouts de mythologies disparates et façonné par un chaos de styles. Il puise diversement son inspiration dans le fantastique, la sculpture gothique et néo-gothique, la BD, les cartoons, le manga et la mythologie japonaise. Il a intégré le médium céramique à sa pratique artistique il y a dix ans. Il procède essentiellement par installation, mixe diversement la sculpture sur bois à la tronçonneuse et la céramique. Son approche sculpturale, souvent monumentale, peut atteindre les dimensions de l’espace public et du Land art. Il tire son inspiration de la veine figurative et rebondit aussi très librement sur des emprunts stylistiques historiques.
Quand on pratique la céramique, difficile de ne pas se frotter au registre du fonctionnel, me glisse à l’oreille Jean-Sébastien Tacher. C’est ainsi, qu’à la demande de la Galerie Lefebvre & fils, il livre une suite à une série de cruches initiée il y a quelques mois. Ses Crushes, ou ‘cruches coup de cœur’ en somme, désormais au nombre de treize, sont inspirées d’un bestiaire aussi atypique qu’improbable, mais récurrent dans son travail. Certains animaux peuplent nos campagnes et montagnes (vache, genette, marmotte…), d’autres ont été vus au Texas (tatou) ou en Chine (grue, buffle…), lors de résidences d’artistes passées, tandis que d’autres encore appartiennent au répertoire mythologique (dragon de rivière, Phoenix). Seule tromperie avouée, le wombat de Tasmanie dont la rencontre manque encore au tableau de chasse. En réalité, ce que Jean-Sébastien Tacher entend par ‘faire de l’utilitaire’, c’est accepter de devoir prendre en considération un certain nombre de paramètres, à savoir pour une cruche la présence d’une anse, d’une entrée d’eau et d’un bec verseur efficaces, d’une relative symétrie et géométrie, et il se plie à ces contraintes non sans un évident plaisir. Mais ce qui nous surprend d’emblée et lui non, c’est la taille de ses soi-disant objets utilitaires. Le plus petit fait 35 cm de haut quand la majeure partie de ses pièces atteint les 60 cm de haut et parfois 100 cm de long, comme pour l’Eléphant. Sous couvert de fonctionnalité, Jean-Sébastien Tacher réalise en fait d’imposantes sculptures à poser mais où cette question du mouvement inhérent à la forme, de la bonne circulation de l’eau au sein du volume, de ses belles fluidité et sonorité devient un objet de recherche à part entière.
Par-delà les dimensions, ce sont les couleurs et les motifs graphiques et structurels (tuiles losanges, spirales, rayures, zig-zags…) des Crushes de Jean-Sébastien Tacher qui interpellent. Sa mise en œuvre géométrique du volume et la construction interne par strates superposées s’affiche comme délibérément labyrinthique et complexe. L’usage récurrent de la micro-tuile posée en losange pour refléter le côté carapacé des figures qu’il affectionne particulièrement (wombat et tatou), fait ouvertement référence aux guerriers japonais du Japon ancien, à l’univers manga et aux super-héros de type Robocop pour cette extraordinaire capacité qu’ils partagent à se déplier de l’intérieur. Le zig-zag, tout droit venu de la BD et cartoons rejoint aussi l’alphabet de ses formes-motifs de prédilection. Les rayures font, quant à elles, appel à un autre registre, Matisse, bien sûr, suivi du groupe Memphis.
La couleur est aussi obsessionnelle qu’indispensable au monde de Jean-Sébastien Tacher. Sans couleurs pétantes, pas de vie. Lui qui a une sainte horreur du vide et de l’asepsie fait un usage détonant des émaux, très libre, rapide, exempt de freins et où l’art de la coulure commence à se laisser dompter.
Jean-Sébastien Tacher est un artiste curieux, anachronique et inclassable. Il a le désespoir joyeux des derniers Romantiques et nous livre tant à travers les Crushes exposées aujourd’hui qu’au vu de sa large pratique artistique, un art total extrêmement personnel et aux accents fortement circassiens. Un style Tacher déjà très affirmé, où le détail tend à s’effacer devant l’ivresse du décor, le concert de formes et de couleurs. Un artiste captivant, à suivre, résolument.
Stéphanie Le Follic-Hadida
Août 2023