Brian Rochefort 

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LOVE LETTER
17 octobre - 26 novembre 2016

Comme la lave d’un cratère bouillonnant, les céramiques-sculptures de Brian Rochefort ont une surface parcourue de tensions inattendues. La superposition des émaux, leurs empiètements, les glaçures additionnées, leurs cuissons successives génèrent des effets de crevasses et craquelures extrêmes - allant jusqu’au point de rupture parfois ! - ce qui confèrent à ses « contenants » façonnés à la main - bols, pots, coupes - et plaques murales, ces teintes acidulées, gerçures, onctuosité, rugosités, et débordements qui s’entremêlent.

Certaines de ses oeuvres, « gloops » d’énergie comme il les qualifie, rappellent ces vestiges découverts sur le site d’une éruption volcanique, débarrassés de leurs scories pour dévoiler un antique calice prisonnier d’une gangue de lave aux nuances étranges. Aidé d’un microscope, plongez dans ses profondeurs : les jaunes, blancs, bleus et roses laissent entrevoir points, stries et éclats suggérant les strates terrestres ou encore une flore magique préservée au plus profond de la nature. 

Brian Rochefort n’est pas - à proprement parlé - un artiste environnemental. Mais il a une relation profonde, intime et physique à la terre. Depuis plus d’une décennie, il ne cesse de travailler l’argile. Utilisant une forme basique - le contenant cylindrique et ses aspects protéiformes -, comme il pourrait le faire d’une toile pour développer des surfaces extrêmement picturales et expressionnistes, reflets de son intérêt pour des artistes comme Willem de Kooning, Yayoi Kusama et Kazuo Shiraga ; plus récemment, il a commencé à explorer son médium comme un moyen de saisir, de se connecter et de défier le paysage terrestre et sa beauté, tout autant puissante que fragile. Après avoir grandi en jouant dans les bois de Rhode Island, après avoir vécu un ou deux ans dans les vastes étendues du Montana, et plus récemment, lors de fréquents voyages dans des sites tels que les Galapagos, les grottes ATM au Belize, le Nouveau-Mexique et l’Equateur, le paysage s’insinue dans le travail de Rochefort. Il devient en un sens plus terre-à-terre, sans que cela n’entame sa démarche expérimentale individuelle.

Pour de nombreux artistes, le paysage a ce pouvoir de les envahir et de pénétrer leur esprit. Que le paysage soit urbain, comme pour Piet Mondrian quand il vint à New York et capta l’essence du boogie- woogie ; ou bien l’Utah et l’influence de l’Ouest américain sur Robert Smithson, par exemple. En ce qui concerne Brian Rochefort, le paysage reste plus fragmenté et poétique. Vous le voyez certes, mais il reste indistinct. Lui-même le voit comme une déclaration d’amour à des endroits magnifiques qui lentement disparaissent ou sont altérés, pas comme une tentative d’explication ou de domination. Ses expériences presque transcendantes dans des contrées éloignées - comme les forêts profondes de Tikal au Guatemala - lui ont également transmis ce sentiment de responsabilité. En quoi nos actions individuelles peuvent-elles affecter le reste du monde ? 

Bien qu’il fit référence au statut littéraire de son époque, Samuel Beckett déclara lors d’une interview : «Concevoir une forme qui intègre le désordre, voici désormais la mission de l’artiste». Par bien des aspects, Brian Rochefort se sert de ses céramiques pour essayer de comprendre le désordre du monde - pas de discours pontifiants - mais la compréhension, le témoignage de sa reconnaissance et l’hommage rendu à sa beauté ; et, en parallèle, la tension tragique toujours présente dans ce désordre et l’urgence qu’il y a à appréhender ce chaos. Le processus répétitif et fait de superpositions qu’il emploie, l’équilibre entre contrainte et liberté, la charge d’énergie physique insufflée dans chaque oeuvre et que chaque oeuvre restitue, renvoie à un chaos controlé, à un équilibre entre liberté et contrainte, entre création and destruction. 

Brian Rochefort, grâce à son attirance sincère pour la céramique et son histoire, parvient à corrompre le médium même qu’il aime pour lui conférer une dimension différente. Il repousse les extrêmes, transforme l’objet en une chose presque étrangère, sans forme ni fonction spécifique, résultat d’actions et de manipulations. “La dialectique entre le lieu et le changement peut fournir ce genre de no-man’s-land où les artistes prospèrent” déclare la critique et activiste Lucy Lippard dans l’introduction à son livre: “Lure of the Local” (1997). Il semblerait que Rochefort soit entré dans cette zone, où la créativité coule à travers les bons canaux. 


Texte de Blaire Dessent,"Tension de surface". 

© Mario Simon